le Sillon de Marc Sangnier à Saint-Chamond
Le Sillon de Marc Sangnier
à Saint-Chamond
Le journal L'Eveil démocratique, bi-mensuel en
octobre 1905, devient hebdomadaire en octobre 1906
(c'est l'éditeur de la carte postale qui est de Saint-Chamond)
Dans la Loire, l'implantation de la "Jeune République" est antérieure à la guerre de 1914-1918. Un cercle existe alors dans la vallée du Gier, animé par La Sablière. En 1920, un congrès départemental est présidé à Saint-Chamond par Marc Sangnier en personne puis la "Jeune République" se répand dans tout le département : Saint-Etienne, l'Ondaine, le Pilat, la plaine, les Monts du Lyonnais et du Forez...
"les Camelots du bon Dieu", carte postale éditée par J. Gonin de Saint-Chamond
Le Sillon, revue d'action démocratique,
carte postale éditée par le saint-chamonais J. Gonin
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qui était Marc Sangnier (1873-1950) ?
Paris, 3 avril 1873 - 28 mai 1950
Marc Sangnier a consacré sa vie et ses talents d'orateur et de journaliste à l'idée d'une démocratie fondée sur les forces morales et spirituelles de la foi chrétienne. Né dans une famille très pieuse de la grande bourgeoisie, il fait ses études à Paris, au collège Stanislas, tenu par les Marianistes, ouverts aux idées du catholicisme social prônées par le pape Léon XIII.
Déjà, il cherche à éveiller ses camarades à leurs devoirs civiques et sociaux et collabore à la revue Le Sillon, fondée en 1894 par son ami Paul Renaudin. En 1899, Le Sillon se transforme en mouvement. Au sortir de l'École polytechnique, Sangnier renonce une carrière d'officier pour en prendre la direction.
Cherchant à réconcilier le catholicisme avec le régime républicain, Le Sillon s'est fixé pour but de "travailler à développer les forces sociales du catholicisme dans la société contemporaine". "Les beaux temps du Sillon" se consacrent à l'éducation populaire ; "le plus grand Sillon" s'ouvre aussi à tous ceux qui croient aux valeurs spirituelles et humaines.
Entre 1899 et 1910, à une époque où les idées dominantes de la Troisième République sont mises en cause, où s'installe un climat de religiosité et où émergent des préoccupations sociales, Le Sillon va marquer son influence sur de larges franges de la population française.
Mais son orientation démocratique, dans un milieu encore très choqué par l'expulsion des congrégations et la loi de séparation des Églises et de l'État (1905), son indépendance aussi vis à vis de la hiérarchie ecclésiastique, finissent par inquiéter. Le 25 août 1910, le pape Pie X condamne le mouvement dans une lettre aux évêques de France : Sangnier se soumet et dissout Le Sillon.
Il se lance alors dans l'action politique, fonde un journal, La Démocratie et, en 1912, un parti, la "Ligue de la Jeune République". Pendant la guerre de 1914-1918, il est chargé par Briand d'une mission en faveur de la paix auprès du pape. Député de Paris de 1919 à 1924, il se consacre entre les deux guerres à l'action pacifiste et organise de grands congrès démocratiques internationaux.
En 1929, à l'instar de Richard Schirmann en Allemagne, il introduit en France les Auberges de Jeunesse pour rapprocher les jeunes de tous les pays. À partir de 1932, il prend un certain recul avec l'action politique et fonde l'hebdomadaire L'Éveil des peuples et le Foyer de la Paix à Bierville (Seine-et-Oise), où il possédait une propriété.
Après la guerre, pendant laquelle il est arrêté, en 1944, par la Gestapo, son influence perdure : élu de nouveau député de Paris, il devient, à sa fondation, le président d'honneur du M.R.P.
Odile Gaultier-Voituriez
archiviste de la Fondation nationale des sciences politiques,
membre du conseil scientifique de l'Institut - source
la vision de la démocratie chez Marc Sangnier
Faut-il le rappeler : Le Sillon (1) est d'abord une revue née en 1894. Au sein de cette publication d'élèves du collège Stanislas, Marc Sangnier issu de la grande bourgeoisie, bientôt polytechnicien, joue un rôle croissant. Il prend en 1898 la direction du Sillon qui devient un mouvement de jeunesse, de formation religieuse et sociale, et prend son essor à Paris et en province.
À partir de 1899, le Sillon se tourne vers l'action démocratique et se place sur le terrain civique. Son écho s'accroît : 75 adhérents au premier congrès de 1902, 1 000 en 1904, 2 194 en 1909. À partir de février 1907, "le plus grand Sillon" veut rassembler 'toutes les forces qu'anime consciemment ou non l'esprit Chrétien", affirmant une perspective non confessionnelle. Le journal L'Éveil démocratique, bi-mensuel en octobre 1905, devient hebdomadaire en octobre 1906. Le Sillon s'oriente désormais vers l'action politique, Marc Sangnier est candidat aux élections législatives, à une élection partielle en 1909, puis aux élections générales en 1910.
Le Sillon, dès son début, se situe sans hésitation sur le terrain républicain. Ses militants n'ont pas, comme d'autres catholiques français, à se "rallier" conformément aux instructions du pape Léon XIII. Ils acceptent le régime, sinon le détail des institutions. Ils adhèrent aussi aux valeurs patriotiques qu'incarne la République.
Mais quelle est leur vision de la démocratie, une des originalités majeures du Sillon ? Faut-il rappeler qu'à partir de 1905, la revue Le Sillon porte en sous-titre "revue d'action démocratique", et non plus "revue d'action sociale catholique". L'adjectif "démocratique" est porteur d'un sens fort et renvoie à la définition de la démocratie si souvent donnée par Sangnier à ses amis. "La démocratie est l'organisation sociale qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civique de chacun" (2) La démocratie est une organisation sociale, ainsi la définition n'est-elle pas d'abord politique et juridique. "Nous voulons, dit encore Sangnier, une démocratie organique, non une démagogie anarchiste. Nous ne sommes pas des individualistes" (3).
Cette démocratie organiciste n'est pas collection d'individus, elle est faite de corps et de communautés. Le Sillon, comme le catholicisme social, reprend quelque chose de la critique traditionaliste d'une démocratie individualiste, mais les individus ne doivent pas être écrasés par l'organisation sociale. Au contraire celle-ci a pour fin première l'épanouissement de "la conscience et de la responsabilité civique de chacun". Si le Sillon récuse l'individualisme, il affirme le rôle essentiel de la personne. Ce sont les valeurs de la conscience et de la responsabilité qui sont au cœur de la société démocratique.
Sangnier ne confond pas la démocratie avec l'anarchie ou la démagogie. Il ne considère pas que la démocratie consiste "à supprimer l'autorité et à la remplacer par la stupide tyrannie des aveugles majorités ; nous croyons au contraire fortifier le principe même d'autorité en élevant à la pleine dignité civique un nombre chaque jour grandissant de sujets" (4). L'effort démocratique consiste "à rendre participante" de la fonction de l'État "une élite chaque jour plus large et ouverte".
La démocratie n'est pas l'égalitarisme et réclame la naissance d'une élite. Forger cette élite démocratique invite à un œuvre d'éducation qui est au cœur du projet sillonniste. La démocratie a besoin de l'apport de l'éducation, elle a besoin aussi de l'apport moral du christianisme. Comme Tocqueville, Sangnier estime que le christianisme "en subordonnant l'intérêt particulier à l'intérêt général rend la démocratie possible".
Ces quelques observations fondées sur les textes de Sangnier repris dans L'Esprit démocratique suffisent à suggérer que la conception de la démocratie politique par le Sillon est différente de la démocratie chère à "l'idée républicaine" (5). Surtout, alors que pour les hommes politiques républicains, de Gambetta à Clemenceau, le politique est premier, préalable aux réformes sociales éventuelles, le Sillon est d'abord tourné vers le social. La construction d'une démocratie sociale est l'exigence première.
Jean-Marie Mayeur, extrait de "introduction" à
Le Sillon de Marc Sangnier et la démocratie sociale.
Actes du colloque des 18 et 19 mars 2004, Besançon,
éd. PU de Franche-Comté, 2006, p. 7-9.
(1) Renvoyons au livre de référence de Jeanne Caron, Le Sillon et la démocratie chrétienne, Plon, 1966, et regrettons que cette thèse n'ait pas été rééditée.
(2) Marc Sangnier, L'Esprit démocratique, p. 167.
(3) Ibid., 26 février 1905, p. 172.
(4) Ibid., p. 174.
(5) On fait allusion au livre classique de Claude Nicolet, Gallimard, 1982.